Les Guetteurs du millénaire – 1ère performance sur la plage du Prophète à Marseille le 14 octobre 2000.

Le principe des performances que j’ai organisées sur les plages de La Ciotat en 1999, et sur la plage du Prophète à Marseille en 2000 et 2002 , est de, « recruter » un groupe de jeunes gens, en m’appuyant sur une association (à La Ciotat le Greta, à Marseille l’association MADE de Bassens en 2000, et la Maison pour tous Panier Joliette) afin de les initier au land art et à l’équilibre des pierres, pour aboutir à une performance, de Midi à minuit, où le public est invité à venir créer, avec nous, un peuple de pierres. Ces performances au long cours sont ponctuées par l’intervention de musiciens, de danseurs, etc. programmée mais laissant aussi la place à des initiatives du public.

CHOSES VUES LE 2 OCTOBRE 1999 À LA CIOTAT DEVANT
LES GUETTEURS DE VÉRONIQUE BRILL

– De loin ça ressemblait à un concours de châteaux de sable : une multitude de petits groupes d’adultes et d’enfants qui paraissaient très occupés autour de pierres sur la plage .
– Tout cela ne ressemblait pas à une expo d’art contemporain. Il n’y avait pas le rituel convenu des vernissages où l’on vient chanter les dieux de la modernité. La plage est à tout le monde, en principe. Ce n’est pas un temple – fût-il celui de l’art – et pourtant ce 2 octobre, celle de La Ciotat, envahie des Guetteurs de Véronique Brill, a été transformée par tous les gens présents en une sorte de lieu chargé de liens.
La plupart de ceux qui étaient là n’avaient sans doute jamais mis les pieds dans une galerie.

– En fait ça ressemblait juste au contraire de Disneyworld : un lieu gratuit, avec des pierres du sable et la mer, où chacun inventait sa propre création et l’ajoutait à celles des autres. Les Guetteurs de Véronique étaient là comme modèles dont on n’hésitait pas à s’éloigner. Des incitations sans dogmes.

Les musiciens étaient de genres très variés : une bande a joué du djembé, ensuite ils se sont mis au volley en rond pendant qu’un groupe s’est installé avec des instruments étranges : des conques marines et une sorte de longue gouttière d écorée – un didjeridoo, instrument des aborigènes australiens – puis il y a eut un beau duo de saxos entre Didier Labbé et isabelle Cirla, variation contemporaine et jazzy pour un couple se rapprochant. Les gitans ont fini la soirée avec le cante jondo.

Le conteur n’était pas très bon mais c’était un conteur et tout le mode était content d’en avoir un pour aider à l’entrée dans la nuit. Son histoire était trop compliquée – une cosmogonie chinoise – mais c’était une histoire.

7 CHOSES VUES ET ENTENDUES AU PASSAGE

– Un groupe d’une quinzaine d’enfants a fait une grande œuvre en commun. Une sorte de citée de pierres avec les dolmens de Stonehenge, les menhirs de Carnac et un tas de nouvelles inventions pierreuses.

– Mouloud et Magid ont laissé les casques à leurs copines. Ils ont choisi l’endroit le plus éloigné de la lumière des torches et se sont mis à lever des pierres en équilibre. Ils ont fait ça calmement, en se parlant à voix basse.

– Un petit groupe, genre estivants belges tardifs. Un des deux hommes vient de trouver un équilibre très particulier avec 5 ou 6 pierres, une sorte de bout de mur aléatoire. Il semble très content de le montrer à sa femme et à ses amis. Je lui demande si c’est lui quia fait cet autre équilibre, là-bas à une dizaine de mètres.
Il me dit que oui et je vois sa femme le regarder avec un drôle d’air.

– J’ai vu une petite fille de huit ans qui glissait consciencieusement de petites tiges d’aigrettes entre les pierres de chaque Guetteur.

Martin, cinq ans et demi, a passé la soirée à transporter de gros galets dont il a soigneusement organisé le tas. Quelquefois ils étaient trop lourds pour lui alors il les roulait patiemment. J’ai eu l’envie d’aller l’aider et puis je me suis retenu. J’ai eu raison parce que j’ai bien vu qu’il n’en était pas particulièrement content quad un adulte est allé, justement, lui donner un coup de main.

– A ma connaissance, personne n’a réussi à savoir qui a fait cette magnifique salamandre géante de sable qui sortait de la mer et venait saluer un des Guetteurs au milieu d’un décor qui m’a rappelé le jardin zen de Ryôan-ji.

– Un jeune homme dans le vent – informaticien branché ? – a rejoint son copain qui était assis prés d’un Guetteurs sur la jetée.
– « Ça valorise ! » a-t-il dit à son ami en désignant l’équilibre des pierres.

Jean-Louis Marcos
Journaliste, critique d’art, auteur, réalisateur