Le voile noir - Rotterdam

Rotterdam et son port sont inséparables, lumières intimement imbriquées.

En suivant les canaux et sillonnant le port en bateau, j’ai repéré l’endroit des activités de réparation navale. Un univers de travail extrêmement masculin.

La première image, saisie au passage, m’a révélée, dans cet endroit, une présence ou une trace féminine. Un de ces gigantesques voiles de nylon qui ferment les docks flottants esquisse dans son enroulement une silhouette féminine ; les plis en bas flottent comme la robe à volants d’une danseuse de tango, tandis que le haut de la silhouette est masqué par le voile noir. Je suis revenue deux fois faire des prises de vue dans ce lieu, fascinée par le travail du voile. Le voile cache et montre en même temps. Le voile sépare ; dans ce lieu masculin il instille une présence qui le transfigure.

Il est une séparation entre la photographe et ce qu’il cache, au-delà de la rudesse du lieu, sans doute des choses intimes ; mais qu’il donne aussi à voir, comme une sorte de miroir.

Les déchirements, qui composent avec les envolements, montrent aussi la brutalité de la révélation.

Un jeu peut-être

un jeu peut-être
alors une ironie du sort
que cette toile tendue sur des tôles esquintées
un tomber de rideau
le baiser du linceul sur le sel des carcasses.

chantiers. e la nave non va piu.
eh bien, dansez maintenant.
rouille, bruits, sueurs. on imagine
les torses des hommes et le cambouis de leurs bleus.

un jeu peut-être
alors une joute érotique
le voile comme un jeté de lit
si l’on te dit qu’il est écran,
c’est pour mieux t’endormir mon enfant.
ces draps froissés, ces plis mouillés et
puis là dans la fente que ton regard écarte

ah oui, la pudeur. eh bien, soit, parlons-en.
tissus de mensonges
bâches qui bâillonnent les sanglots des cargos.
l’étrave en capilotade dans l’odeur souillée des huiles.
fermez les paupières. derrière c’est la débâcle
la panne, la honte (mais vous ne pensez qu’à ça, entend tout bas)
drapé dans l’orgueil feindre le bivouac
démentir le hangar
ah tiens, ce n’est plus un jeu

Valérie Péan